Interview avec Fabien Fenouillet, chercheur en sciences cognitives et professeur de psychologie positive

Interview avec Fabien Fenouillet, chercheur en sciences cognitives et professeur de psychologie positive

Fabien Fenouillet, chercheur en sciences cognitives, motivation, apprentissage, bien-être et professeur de psychologie positive à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, nous éclaire sur les théories de la motivation et de l’engagement. 

Quels sont les rapports entre motivation et engagement ?

Il existe beaucoup de définitions et de théories mais pour moi l’engagement est un processus de passage à l’acte inhérent à la motivation. Avant tout engagement, nous sommes dans un état de délibération motivationnelle. Ce n’est qu’une fois la décision prise (liée à la motivation) que l’individu s’engage, qu’il ne se pose plus de questions et qu’il agit. 
Agir uniquement sur les mécanisme d’engagement et non ceux de la motivation peut induire un engagement sur  le court terme c’est-à-dire restreint uniquement à un comportement . Dans ce cas, le plus souvent, il faut toujours réengager les personnes pour les autres comportements. Tout l’intérêt de passer par la motivation est donc de favoriser la persistance de l’action.
Quelques questions peuvent nous aider à construire des profils motivationnels : pourquoi est-ce que vous faites les choses ? Pour les motifs, les valeurs, les facteurs internes et externes ? Est-ce que votre environnement vous permet de faire ce que vous voulez ? Des prises d’initiatives ? Des formations ? Est-ce que vous vous sentez capable de les faire ? Est-ce que vous allez les faire ? 
C’est le processus décisionnel qui permet d’ancrer dans le temps l’engagement, c’est donc la phase la plus importante.  

J’ai pu lire dans une étude que 15% des managers occidentaux étaient engagés, comment engager ? 

Le problème de la motivation, et de l’engagement comme concept associé, est que c’est un processus composé d’une succession d’étapes. Dans cette question je ne comprends pas comment est mesuré l’engagement et quelle est la mesure utilisée. Quand on parle de 15% de managers engagés, quelle est la mesure ? Sans cette information ces chiffres restent flous. 

Comment définir l’engagement ? 

L’engagement est un processus qui permet d’atteindre un objectif : le passage à l’acte. 
Il y a bien sûr différents modèles de l’engagement. Certains modèles donnent une définition de l’engagement très proche de celle que j’utilise pour la motivation, avec différents indicateurs comme, par exemple, les valeurs : ce que vous faites est-il quelque chose de valable ? Est-ce que vous estimez que cela vient de vous ? Est-ce que vous réalisez que vous êtes en mesure de remplir la mission ou non ? 
Différents éléments font partie de l’engagement, et s’ils ne sont pas validés, vous ne serez pas engagés. C’est un peu comme la motivation. Certains états motivationnels sont clairs. Il y a certains états où on est très motivés et d’autres où on ne l’est pas, mais en général nous sommes plus ou moins motivés, ce n’est pas dichotomique.
L’engagement ne vient pas que de son envie personnelle, il peut être créé par le processus d’un tiers. Les expériences scientifiques de la théorie de l’engagement le démontrent. 

Pour vous, quelle place ont ces études dans le monde professionnel ? 

À l’origine ce sont les travaux de Lewin qui parlent de gel cognitif. Ces techniques visent à engager la personne dans l’action pour dépasser la phase délibérative, ensuite il n’a donc plus à réfléchir à pourquoi il fait les choses mais comment il va les faire. Les techniques qui forcent le passage à l’action en prenant un raccourci trop brutal sur la phase de délibération risquent de devoir en permanence réengager le comportement. Finalement, le principal atout de certaines théories motivationnelles est qu’elles facilitent un engagement à long terme. 
Lewin voulait que l’individu s’approprie cette décision d’agir. Le processus décisionnel est le plus important et permet l’engagement à long terme. 

Quelles seraient les bonnes pratiques pour créer un engagement chez un collaborateur ? 

Vous avez des théories de l’engagement qui sont directement issues du monde de l’entreprise. De mon point de vue, cela ne me paraît pas plus différent que les autres processus décisionnels. 
Différents cadres théoriques expliquent le processus de motivation. Les deux piliers essentiels se traduisent par ces deux questions : pourquoi est-ce que vous faites les choses ? Est-ce que vous vous sentez capable de les faire (ce qui suppose que vous savez quoi et comment faire) ? Je dirai que ce sont les deux piliers de tout processus motivationnel. Le pourquoi renvoi a beaucoup d’aspects, comme la valeur (est-ce que cela vient de moi ou non) ou les besoins psychologiques de l’individu. C’est très vaste, il existe énormément d’éléments. L’idée est de donner un cadre théorique précis. 

Par exemple, s’engager pour suivre des formations professionnelles ? 

On revient à des motifs relativement classiques et ça va bien fonctionner : pourquoi feriez-vous ça ? Est-ce que votre environnement de travail vous donne les possibilités ? Est-ce qu’on vous laisse la possibilité ? Est-ce que vous pensez la suivre ? 
On pourra construire un profil motivationnel et se dire si oui ou non on va s’engager facilement. Dans tous les cas, ces théories ne sont pas « on/off ». On ne se dit pas que cela va fonctionner pour chaque individu, on est plus sur un ensemble d’individus.  

Qu’en est-il de l’entretien motivationnel ? 

C’est une stratégie que l’on utilise pour que les individus se positionnent pour leur motif réel. C’est une technique de changement. Vous allez basculer en faisant une action mais surtout en continuant à la faire. 

L’enjeux par rapport à l’engagement est donc la persistance ? 

Oui, totalement. 

Est-il possible d’échapper aux stéréotypes ?

Est-il possible d’échapper aux stéréotypes ?

Nous sommes tous touchés par la catégorisation et nous en faisons tous. De ce fonctionnement naissent les stéréotypes. Dans cet article nous allons vous présenter comment fonctionne la catégorisation sociale, ses dérives et comment lutter contre elles.

Comment expliquer la catégorisation sociale ? 

C’est un processus automatique qui permet de rendre notre quotidien plus facile. Nous serions face à une perpétuelle réflexion devant chaque élément : la catégorisation ne concerne pas que les individus, c’est un processus qui permet de catégoriser l’ensemble de son environnement (mobilier, outillage, nourriture…). 

La catégorisation sociale selon Moscovici se fait par l’objectivation et par l’ancrage, ce qui signifie que nous allons d’abord observer les contours d’un objet puis y voir les ressemblances et le contraste avec les autres objets. Systématiquement, nous allons effectuer ce processus en quelques millisecondes, afin de gagner du temps et de prendre une décision rapidement. 

Si vous voyez un individu marcher rapidement derrière vous, dans votre direction, le soir habillé tout en noir, vous allez sûrement chercher à changer de trottoir, ou en tout cas à rester vigilant. Cela signifie que vous aurez catégorisé l’individu, car il correspond à plusieurs critères admis dans notre société d’un individu potentiellement dangereux. 

La catégorisation sociale et ses dérives 

Catégorisation, stéréotype et discrimination, quelles différences ?

La catégorisation sociale est le fait d’affilier des objets ou des personnes à un groupe ou à un sous-groupe en émettant peu de jugement critique. 

Le stéréotype est le fait d’assimiler une personne en la catégorisant à un groupe social ayant des caractéristiques déjà définies tout en y attribuant une opinion sans fondement scientifique. Le stéréotype entraîne une attitude envers la personne issue de ce groupe mais sans pour autant émettre un comportement négatif. 

La discrimination est le fait d’émettre un comportement négatif envers une personne appartenant à un groupe social uniquement car elle appartient à ce groupe. 

Imaginez …

Maintenant imaginez que vous êtes invité à une soirée, vous voyez un homme avec un t-shirt issu de la saga de la guerre des étoiles. 
La catégorisation serait de se dire simplement qu’il doit aimer cette saga ou qu’il est peut-être cinéphile. 
Le stéréotype serait de se dire que c’est un geek qui passe son temps à regarder des films. 
La discrimination serait de ne pas lui adresser la parole uniquement car il appartient à ce groupe.

La catégorisation se fait très rapidement malgré nous, en moins d’une seconde. En revanche nous pouvons lutter contre les stéréotypes et contre la discrimination en prenant du recul sur notre jugement, nos attitudes et nos comportements. 

Prendre du recul c’est bien mais comment faire ?

Nous pouvons prendre du recul sur une situation uniquement si nous en avons conscience et cela passe par une posture d’apprentissage ! C’est cette connaissance qui vous permettra de vous questionner sur vous mêmes et vos pratiques et ainsi déconstruire ces nombreux stéréotypes.

Comment s’auto questionner ? Nous sommes en constante analyse sur notre environnement, mais nous ne pouvons pas nous questionner chaque seconde !

Il existe des petites astuces simple comme par exemple se poser la question suivante après chaque interaction 
Aurais-je parlé et pris le même ton si cette personne était autrement ? (homme, femme, homosexuel, hetero, difference ethnique…) 
Si oui, demandez-vous si cela était stigmatisant, sexiste, discriminant ou encore infantilisant. 

Essayez de faire cette petite gymnastique de quelques secondes et vous verrez un grand changement apparaître chez vous et aux yeux des autres ! 

Références : 

Edith Salès-Wuillemin. Catégorisation et représentations sociales : Cours de psychologie sociale. Bromberg, M., Trognon, A. Cours de psychologie sociale, Presses Universitaires de France, pp.7-32, 2007. ffhalshs-00903240f

Interview avec Thierry Bonetto, ancien directeur Learning de Danone et fondateur de Learning Futures

Interview avec Thierry Bonetto, ancien directeur Learning de Danone et fondateur de Learning Futures

Thierry Bonetto, fondateur de Learning Futures, membre de SOL (Society for Organizational Learning) et ancien directeur Learning Danone, est expert en apprentissage, leadership et développement des organisations. Après 10 ans de carrière en conseil, il rejoint Danone en tant que directeur du développement des compétences, puis directeur Learning au niveau mondial où il développe la Danone Academy. Il fonde par la suite Learning Futures pour aider à concevoir des programmes stratégiques d’apprentissage et de leadership.

Quels sont les facteurs clés d’un apprentissage réussi ? 

De mon point de vue, la réussite d’une formation se détermine par son impact sur la pratique, tant dans le contexte professionnel que personnel. Plusieurs éléments vont augmenter la probabilité qu’une formation fonctionne : l’inspiration (quand quelque chose nous plaît, on a beaucoup plus de chance de l’essayer), la dimension émotionnelle, l’ancrage dans la réalité (avec l’étude de cas réels), la dimension sociale, la réflexivité personnelle (qu’est-ce que je tire de ma formation et qu’est-ce que je vais changer ?), l’investissement du manager dans le processus et l’équilibre des activités d’outillage et de réflexion. Il est important d’intégrer les outils qu’on utilise dans une réflexion : par exemple, on peut vous demander d’utiliser un outil de définition d’objectif comme la méthode SMART ; mais si on vous demande de réfléchir par rapport à vos modèles mentaux, vous n’allez pas fixer les mêmes objectifs, alors que la méthode est la même. La prise de recul est une attitude qui doit être abordée systématiquement lors de l’acquisition de nouvelles pratiques et outils. 

Qu’est-ce qu’une entreprise apprenante ? 

J’aime la définition simple de Peter Senge (directeur du Center for Organisational Learning au MIT) : une organisation apprenante est « une organisation qui étend en continu sa capacité à créer son futur ». C’est une organisation organique qui libère les aspirations individuelles et collectives, qui facilite l’apprentissage de l’individu, de ses équipes et qui se transforme.  
Il est important de distinguer quatre niveaux : l’individu, l’équipe, l’organisation et l’écosystème. Beaucoup de livres blancs se focalisent sur le seul point de vue individuel avec l’apprentissage des individus au sein de l’organisation. Il est également important de se centrer sur le point de vue organisationnel : comment l’organisation est capable de créer de nouvelles capabilités et de les diffuser en son sein. La capacité d’innovation est très importante. 
Lorsque j’ai pris le rôle de directeur learning, Danone était déjà reconnu comme une école de RH ou de Marketing, instaurant des techniques innovantes. En plus de former ses collaborateurs, Danone avait su mettre en place des pratiques et des savoir-faire distinctifs. Il est essentiel de faire circuler les savoir-faire et connaissances afin que tout le monde puisse monter en compétences. Le « learning » est aussi un outil pour faire passer l’innovation au sein de toute l’entreprise. 

Pouvez-vous me donner des exemples de bonnes pratiques chez Danone qui ont permis cette avant-garde ? 

Danone a mis en place assez tôt plusieurs outils pour faciliter la circulation de bonnes pratiques entre les équipes des différentes filiales. Par exemple, les Marketplace : des « places de marché » qui se déroulaient lors des campus de formation, des conventions fonctionnelles ou business, où les participants pouvaient « acheter » des « bonnes pratiques » à travers une approche à la fois très structurée et « fun ».
Un autre rituel mis en place, notamment lors des formations, a été le « Message in the Bottle » : chaque participant à la formation pense à un problème rencontré dans le cadre de son travail et le note sur un post it en forme de « bouteille à la mer » ; les participants qui ont déjà rencontré ce type de problème et ont trouvé des idées de solution, placent un post-it en forme de bouée à côté de la bouteille : créant ainsi une connexion pour ensuite partager les réponses.

Nous avons avec l’équipe Danone Academy, investi beaucoup d’énergie à faire changer la croyance qu’un apprentissage se fait uniquement en formation présentielle. Nous avons lancé en 2013 la stratégie « one learning a day » (un apprentissage par jour »), pour tirer parti de chaque situation pour se former : une discussion, une  réunion, un webinar, une session de résolution de  problème. Nous avons beaucoup communiqué – à l’occasion de campus de formations, ou de webinars – pour éduquer les collaborateurs – et toutes les équipes learning- sur le modèle 70-20-10, afin de prendre conscience  que l’apprentissage passe surtout par la pratique dans son environnement de travail. 

Les dynamiques d’organisation apprenante concernent aussi tous les collaborateurs. Nous avons lancé une initiative “Campus for all” : évènement organisé au niveau d’un pays pendant une semaine, engageant tous les collaborateurs sur des activités de formation. 
Ou encore, en Indonésie, l’aménagement d’un camion permettant de silloner les usines locales afin de sensibiliser les opérateurs sur différents thèmes comme la santé alimentaire et la lutte anticorruption. 

Est-ce que vous avez un souvenir de difficulté de soft skills avec une personne de votre milieu professionnel ? 

L’un des thèmes sur lequel nous avons travaillé est la responsabilisation – au sens de la prise de risque dans la capacité de chacune et chacun à répondre – et non pas seulement réagir – à une situation. Cette notion est très liée au mode de fonctionnement et à la culture managériale ; au-delà des processus de validation, elle me semble importante dans un monde qui change. 

Avez-vous un exemple démontrant l’atout des softskills dans le recrutement ? 

Dès 2009 nous avons lancé un programme et modèle de leadership. L’idée était d’aider les 18 000 managers à devenir des leaders. Ce premier modèle, dénommé CODE, puis CODES, incluait les ingrédients clés suivants : 

C – Creates a meaningful future : la capacité à créer un futur ambitieux 
O – Opens connections inside and outside : la capacité à créer des connexions dans et hors l’entreprise avec, par exemple, la culture du feedback. 
D- Drives for substainable results : l’importance d’avoir des résultats durables au sein de l’organisation. 
E – Empowers oneself and diverse teams : développer les connaissances des collaborateurs au sein de l’équipe. 
S- pour Self-aware: mieux se comprendre, comprendre ses émotions et ses talents. 

Au-delà des programmes de formation pour développer chacune et chacun comme « CODES leader », ce modèle a été introduit dans le recrutement, en complément des compétences techniques et fonctionnelles.

Comment réussissiez-vous chez Danone à être si innovant ? 

C’est plus une question de mindset que de budget. En 2009, quand nous avons décidé de monter un modèle de leadership pour former tous les managers c’était un pari – pari d’ailleurs cohérent avec le C de CODE, représentant la croyance de l’entreprise, la capacité à se projeter et à viser haut ; tout comme le fait d’être agile sur lequel insistait beaucoup notamment Franck Riboud : être agile pour prendre des chemins distinctifs, stratégiquement hors du commun, et demandant moins de ressources que des voies « mainstream » choisies par les concurrents.

La psychologie positive : quelle technique choisir ?

La psychologie positive : quelle technique choisir ?

En 2005, Martin Seligman, Tracy Steen, Nansook Park et Christopher Peterson publient une étude comparative dans laquelle ils confrontent différentes techniques de psychologie positive, et ont conclu que certaines étaient plus efficaces que d’autres.

Des techniques testées empiriquement et validées scientifiquement

Pour cette étude comparative, Seligman et ses collègues ont choisi de proposer aux participants quatre exercices de bonheur et un exercice placebo. 

La visite de gratitude est à l’origine de changements positifs jusqu’à un mois après la fin du protocole. Pour l’exercice “Soi au mieux de sa forme”, les effets bénéfiques ne sont présents qu’à la fin de la semaine d’expérimentation. Bien entendu, les effets à long-terme sont fonction du degré auquel chaque individu continue l’exercice qu’on lui a proposé après la phase d’expérimentation.

Description du protocole de recherche

411 personnes ont souhaité participer à cette étude comparative, chaque participant n’étant assigné qu’à un seul groupe :

  • Premier groupe : les participants réalisent une visite de gratitude, ils ont une semaine pour écrire et donner une lettre de gratitude à une personne envers qui ils sont reconnaissants mais qu’ils n’ont pas suffisamment remercié (visite de gratitude)
  • Deuxième groupe : les participants écrivent chaque jour pendant une semaine trois bonnes choses qui se sont déroulées dans leur journée en explicitant les raisons (trois bonnes choses)
  • Troisième groupe : Les participants écrivent chaque jour à propos d’un moment où ils ont été très compétents et quelles forces ils ont mis en œuvre durant ce moment. Cet exercice est à réaliser durant une semaine (soi au mieux de sa forme)
  • Quatrième groupe : les participants doivent évaluer les 5 forces les plus importantes pour eux et ensuite les utiliser une fois par jour pendant une semaine d’une manière inhabituelle (utiliser ses forces d’une autre manière)
  • Cinquième groupe : Le groupe contrôle doit se rappeler des souvenirs d’enfance une fois par jour pendant une semaine (exercice placebo)

Des processus très puissants à l’œuvre

Vous le savez peut-être déjà, le fait de revivre des moments positifs permet de ressentir véritablement les émotions positives engendrées par cet événement. Une étude de Fox, Kaplan, Damasio & Damasio en 2015 a mis en évidence les bases neuroanatomiques de la gratitude. Alors que les participants de cette étude étaient soumis à un IRM fonctionnel, ils étaient amenés à ressentir de la gratitude. Pour cela, on leur a demandé de s’imaginer d’être pendant l’Holocaust, puis on leur raconte une histoire : « Un fermier donne refuge à votre famille lors d’une froide nuit d’hiver. Le jour suivant, les Allemands s’emparent de sa maison, force votre famille à quitter les lieux et brûlent ses terres. », ils doivent alors exprimer dans quelle mesure ils sont reconnaissants envers cette personne. Plusieurs histoires comme celles-ci leurs sont présentées, le but étant d’étudier les corrélats neurobiologiques associés à la gratitude. Les données scientifiques ont révélé des activations dans les régions cérébrales responsables de la cognition morale, de la récompense, de la théorie de l’esprit ainsi que des émotions.

Avez-vous envie de tester ? Rappelez-vous de cet article, et choisissez l’exercice le plus efficace, mais surtout celui qui vous convient le mieux.

Références :
Seligman, M. E., Steen, T. A., Park, N., & Peterson, C. (2005).Positive psychology progress: empirical validation of interventions. American psychologist, 60(5), 410.
Fox, G. R., Kaplan, J., Damasio, H., & Damasio, A. (2015).Neural correlates of gratitude. Frontiers in psychology, 6, 1491.

Échange avec Martine Assar sur les soft skills à l’ère du digital

Échange avec Martine Assar sur les soft skills à l’ère du digital

Martine Assar, responsable Formation, Métiers et Compétences en charge de l’Observatoire des métiers de l’IMT _ INSTITUT MINES TELECOM & Chef de projet “Osons l’industrie du futur”, nous en dit plus sur la révolution digitale et l’importance de la maîtrise des soft skills pour la métamorphose industrielle.  

Quels sont les enjeux de l’intelligence émotionnelle dans le monde professionnel ? 

L’intelligence émotionnelle est composée de deux termes contraires : l’intelligence, qui fait référence à l’analyse et au raisonnement, et l’émotion qui renvoie à un état affectif. Pour essayer d’en donner une définition courte, on parle généralement de la capacité à reconnaître, identifier et définir ses émotions et celles des autres pour les comprendre et les gérer à bon escient. 
Dans le monde professionnel actuel, le fait de pouvoir se connaître et maîtriser ses émotions devient une compétence comportementale de plus en plus nécessaire. Et à l’heure de la crise sanitaire que nous vivons, cela devient indispensable. Mieux appréhender sa météo émotionnelle intérieure permet d’améliorer sa relation avec les autres. De plus, la capacité de bien connaître et être à l’écoute des autres permet de motiver et favoriser l’implication de ses collaborateurs, mais également de construire des communications plus saines, avec plus de coopération et avec pour résultat une meilleure performance individuelle et collective. Nous sommes entrés dans la 4èmerévolution industrielle. Les entreprises ont besoin de collaborateurs qui s’impliquent dans cette révolution digitale avec une faculté d’adaption en continu. Cette révolution n’est possible que si les collaborateurs sont capables de mettre en œuvre des compétences de savoir-être. L’identification de ces compétences a été réalisée dans le cadre du Projet « Osons l’industrie du futur » dans plusieurs secteurs de l’industrie.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur “Osons l’Industrie du Futur”? 

En tant que chef de projet, j’ai piloté la participation de l’IMT dans le Projet “Osons l’industrie du futur”. Ce projet, conduit par l’Alliance industrie du futur (AIF) dans le cadre d’un PIA CSTI, a rassemblé plusieurs partenaires : l’UIMM, l’ENSAM, l’ONISEP et l’IMT. 
Pour recontextualiser la naissance de ce projet, il faut revenir aux années 2000, avec un climat industriel assez morose lié à de nombreux plans sociaux, à des délocalisations également. En 2012, un rapport produit par Louis Gallois met en évidence la forte baisse d’attractivité de l’industrie française liée à des considérations comme la pénibilité, les tensions sur l’emploi, le non-respect des préoccupations environnementales … Au niveau de la formation, on a également observé un manque d’adéquation avec les besoins des entreprises industrielles. Contrairement à l’Allemagne, qui lançait le concept d’industrie 4.0 dès 2011, la France était en retard sur la robotisation ou l’intelligence des objets. 

Arnaud Montebourg, Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique a décidé de lancer le grand programme de la Nouvelle France industrielle en 2013 et nous sommes rapidement passés à l’action pour lancer la modernisation et la numérisation de notre appareil productif.
Le projet « Osons l’industrie du futur”est né en mars 2016. C’est un projet collaboratif qui prend acte des différentes transformations dans la société, et qui a comme objectif de rendre l’industrie plus attractive. Ce projet vise à sensibiliser les différents publics cibles comme les jeunes, leurs parents, les différents prescripteurs et les salariés à la transformation des secteurs et des métiers à l’aune de l’intégration des nouvelles technologies. Il est également destiné aux différents opérateurs de formation (publics ou privés) afin de les aider à mettre à jour voire à créer de nouveaux parcours de formation dans le souci de mieux former à l’industrie du futur.

Nous avons étudié 6 familles métier qui rencontrent des difficultés de recrutement, qui sont transfilières et qui concernent plusieurs branches industrielles: la recherche et la conception, la production, la supply chain, la maintenance, le big data et le management. Nous avons produit 6 études sectorielles, 18 fiches métiers, 18 kits de compétences, 8 modules complémentaires sur des thématiques clés, 6 livrets de communication et 2 espaces de diffusion (le site Osons l’industrie et l’espace Mon industrie sur le site de l’Onisep). Toute cette production est accessible gratuitement sur le site Osons l’industrie (http://www.industrie-dufutur.org/osons-lindustrie/).

Les soft skills font-ils partie de la 4ème révolution et quelle est leur place ? 

On a souvent entendu et pu lire des études assez alarmistes nous dire que l’être humain va être chassé des usines par les robots, avec des milliers d’emplois supprimés. On ne peut être aussi catégorique que cette affirmation, il y aura des disparitions d’emplois et de métiers, certes, mais elles seront plus dues à une transformation de ces derniers vers des métiers plus qualifiés. Il faut se dire que rien ne remplacera jamais l’intelligence humaine. Celle-ci met en oeuvre un assemblage de compétences qui est en constante évolution et adaptation. 
Ainsi, on voit une forte tendance, depuis quelques années, à rechercher particulièrement les compétences liées aux savoir-être. Une étude du World Economic Forum de 2016 plaçait l’intelligence émotionnelle à la 6 ème place du classement des 10 compétences clés à l’heure de la quatrième révolution industrielle. 
On a beaucoup de mal à trouver une expression qui synthétise ce type de compétence : savoir comportemental, savoir socio-comportemental. Pléthore d’expressions pour essayer de dire que toutes ces compétences sont indispensables pour appréhender et intégrer les nouvelles technologies en s’y adaptant. Leur intégration va induire des changements dans l’exécution des activités, ce qui va requérir de la part de chaque collaborateur des capacités de collaboration, d’adaptation et une meilleure communication. L’industrie du futur donne beaucoup plus sa place à l’humain, à son épanouissement et à son bien-être, en tout cas, c’est le souhait de plus en plus exprimé par l’ensemble des salariés même si cela est fortement porté par les nouvelles générations qui recherchent du sens au travail. Les nouvelles technologies serviront à décharger l’humain du travail pénible et lui permettront de développer sa créativité et son sens de l’innovation. Nous voyons qu’il s’agit plus aujourd’hui d’assembler des compétences clés, c’est précisément cet assemblage, cette combinaison qui doit constituer le cœur de la transformation des entreprises.

Quels sont les atouts de ces soft skills en entreprise ? 

Une étude sur l’OCDE en 2018 démontre qu’en 1969 une compétence technique durait un peu plus de 22 ans alors qu’en 2018 cette même compétence avait une durée de 2 ans et demi. Pour faire face à l’évolution de son métier, la faculté à acquérir de nouvelles compétences, à se former en continu et à être ouvert seront des éléments fondamentaux. On a pris acte de l’obsolescence des compétences, et le meilleur remède pour être en phase avec les tâches dont on a la charge, c’est de se former en continu et d’adapter ses compétences. 
Les polycompétences sont le corollaire d’une transformation industrielle efficiente. Les compétences techniques et socio-émotionnelles doivent se combiner pour être plus efficaces et plus performantes, aussi bien pour les organisations que pour les individus.  Les profils performants seront des profils hybrides avec une palette de compétences très étendue. 

Quelles sont les bonnes pratiques faites en entreprise pour mettre à niveau les soft skills ?

Vous avez différentes pratiques. Certaines entreprises ont pris le parti de créer des structures internes de formation. Des structures physiques (des académies, des universités) qui réalisent au préalable une cartographie des compétences nécessaires dans leur organisation pour mieux évaluer ce qu’il sera nécessaire de positionner en termes de formation. 
D’autres entreprises ont misé sur des campus virtuels, pour permettre aux salariés de renforcer des compétences qu’ils mobiliseront rapidement, dans le souci de permettre à chaque salarié d’être en adéquation avec son poste de travail
Et certaines ont décidé, en lien avec la “loi choisir son avenir professionnel” du 5 septembre 2018, de créer leur propre CFA pour pouvoir gérer la formation initiale. Les entreprises, seules ou accompagnées d’entreprises du même secteur, coopèrent pour former des apprentis directement employables dans leurs organisations.
Les entreprises ont amorcé une démarche de réactivité. Elles ont pris conscience que la formation était un levier stratégique dans la bonne transformation de leur organisation, et c’est pourquoi elles n’hésitent plus à investir massivement dans ce secteur.  
Pour aller plus loin sur le sujet, je vous invite à télécharger l’enquête où nous avons mis le focus sur la formation en entreprise, en mettant en lumière d’une part, la mutation opérée par le numérique dans le secteur de la formation, et d’autre part, le positionnement  dans ce nouveau contexte des acteurs traditionnels de la formation pour repenser leur place, leur rôle par rapport à des nouveaux concurrents qui vont bousculer ce secteur (https://www.imt.fr/formation/debouches-et-metiers/la-formation-en-entreprise-une-enquete-sur-les-defis-a-relever/).

Pouvez-vous me mentionner une anecdote sur l’importance des softskills? 

Pendant le projet « Osons », nous avions organisé une table ronde sur le secteur de la maintenance en collaboration avec l’IUMM de Saint-Etienne, avec plusieurs entreprises et professionnels de la maintenance. Un responsable de maintenance nous a confirmé toute la difficulté qu’il avait à intégrer des jeunes. Certains jeunes pensent que seuls les savoir-faire sont importants, ils le sont et le resteront assurément mais plus tout seuls. Chaque jour, il avait à répéter des bases de la politesse comme dire bonjour ou communiquer régulièrement avec ses collègues. Le manque de savoir-être de ces jeunes était problématique pour leur intégration, entraînant des départs volontaires ou forcés. Les jeunes générations demandent plus de bien-être, mais certains n’ont pas conscience de l’impact de leur comportement sur les autres. D’où, là aussi, l’importance à les former à ce type de compétences durant leur cursus.
Lorsque l’on souhaite être recruté, il est important de montrer que l’on comprend ce que représentent les soft skills et que l’on est en situation de les développer. Monster a fait une étude démontrant que 97% des recruteurs prennent en compte les soft skills. Les jeunes doivent donc être plus que jamais sensibilisés à l’importance de ce type de compétences dans un recrutement comme dans l’exercice de leur activité professionnelle.

Quel conseil donneriez-vous à un manager ? 

On demande beaucoup de choses à un manager : mieux se connaître, être plus à l’écoute du ressenti et de la météo émotionnelle de ses collaborateurs… Tout le monde n’est pas capable de pouvoir rassembler toutes ces compétences d’où l’importance de la formation pour les acquérir ou les renforcer. Le management en distanciel, accentué actuellement par la crise sanitaire, et l’utilisation intensive des outils numériques en a gêné plus d’un/une. Les managers doivent être accompagnés et formés et ne pas hésiter à mobiliser du temps de formation pour être plus et mieux préparés à ces évolutions qui vont en s’accélérant avec une recommandation pour aller aussi vers de l’auto-formation.