Thierry Bonetto, fondateur de Learning Futures, membre de SOL (Society for Organizational Learning) et ancien directeur Learning Danone, est expert en apprentissage, leadership et développement des organisations. Après 10 ans de carrière en conseil, il rejoint Danone en tant que directeur du développement des compétences, puis directeur Learning au niveau mondial où il développe la Danone Academy. Il fonde par la suite Learning Futures pour aider à concevoir des programmes stratégiques d’apprentissage et de leadership.
Quels sont les facteurs clés d’un apprentissage réussi ?
De mon point de vue, la réussite d’une formation se détermine par son impact sur la pratique, tant dans le contexte professionnel que personnel. Plusieurs éléments vont augmenter la probabilité qu’une formation fonctionne : l’inspiration (quand quelque chose nous plaît, on a beaucoup plus de chance de l’essayer), la dimension émotionnelle, l’ancrage dans la réalité (avec l’étude de cas réels), la dimension sociale, la réflexivité personnelle (qu’est-ce que je tire de ma formation et qu’est-ce que je vais changer ?), l’investissement du manager dans le processus et l’équilibre des activités d’outillage et de réflexion. Il est important d’intégrer les outils qu’on utilise dans une réflexion : par exemple, on peut vous demander d’utiliser un outil de définition d’objectif comme la méthode SMART ; mais si on vous demande de réfléchir par rapport à vos modèles mentaux, vous n’allez pas fixer les mêmes objectifs, alors que la méthode est la même. La prise de recul est une attitude qui doit être abordée systématiquement lors de l’acquisition de nouvelles pratiques et outils.
Qu’est-ce qu’une entreprise apprenante ?
J’aime la définition simple de Peter Senge (directeur du Center for Organisational Learning au MIT) : une organisation apprenante est « une organisation qui étend en continu sa capacité à créer son futur ». C’est une organisation organique qui libère les aspirations individuelles et collectives, qui facilite l’apprentissage de l’individu, de ses équipes et qui se transforme.
Il est important de distinguer quatre niveaux : l’individu, l’équipe, l’organisation et l’écosystème. Beaucoup de livres blancs se focalisent sur le seul point de vue individuel avec l’apprentissage des individus au sein de l’organisation. Il est également important de se centrer sur le point de vue organisationnel : comment l’organisation est capable de créer de nouvelles capabilités et de les diffuser en son sein. La capacité d’innovation est très importante.
Lorsque j’ai pris le rôle de directeur learning, Danone était déjà reconnu comme une école de RH ou de Marketing, instaurant des techniques innovantes. En plus de former ses collaborateurs, Danone avait su mettre en place des pratiques et des savoir-faire distinctifs. Il est essentiel de faire circuler les savoir-faire et connaissances afin que tout le monde puisse monter en compétences. Le « learning » est aussi un outil pour faire passer l’innovation au sein de toute l’entreprise.
Pouvez-vous me donner des exemples de bonnes pratiques chez Danone qui ont permis cette avant-garde ?
Danone a mis en place assez tôt plusieurs outils pour faciliter la circulation de bonnes pratiques entre les équipes des différentes filiales. Par exemple, les Marketplace : des « places de marché » qui se déroulaient lors des campus de formation, des conventions fonctionnelles ou business, où les participants pouvaient « acheter » des « bonnes pratiques » à travers une approche à la fois très structurée et « fun ».
Un autre rituel mis en place, notamment lors des formations, a été le « Message in the Bottle » : chaque participant à la formation pense à un problème rencontré dans le cadre de son travail et le note sur un post it en forme de « bouteille à la mer » ; les participants qui ont déjà rencontré ce type de problème et ont trouvé des idées de solution, placent un post-it en forme de bouée à côté de la bouteille : créant ainsi une connexion pour ensuite partager les réponses.
Nous avons avec l’équipe Danone Academy, investi beaucoup d’énergie à faire changer la croyance qu’un apprentissage se fait uniquement en formation présentielle. Nous avons lancé en 2013 la stratégie « one learning a day » (un apprentissage par jour »), pour tirer parti de chaque situation pour se former : une discussion, une réunion, un webinar, une session de résolution de problème. Nous avons beaucoup communiqué – à l’occasion de campus de formations, ou de webinars – pour éduquer les collaborateurs – et toutes les équipes learning- sur le modèle 70-20-10, afin de prendre conscience que l’apprentissage passe surtout par la pratique dans son environnement de travail.
Les dynamiques d’organisation apprenante concernent aussi tous les collaborateurs. Nous avons lancé une initiative “Campus for all” : évènement organisé au niveau d’un pays pendant une semaine, engageant tous les collaborateurs sur des activités de formation.
Ou encore, en Indonésie, l’aménagement d’un camion permettant de silloner les usines locales afin de sensibiliser les opérateurs sur différents thèmes comme la santé alimentaire et la lutte anticorruption.
Est-ce que vous avez un souvenir de difficulté de soft skills avec une personne de votre milieu professionnel ?
L’un des thèmes sur lequel nous avons travaillé est la responsabilisation – au sens de la prise de risque dans la capacité de chacune et chacun à répondre – et non pas seulement réagir – à une situation. Cette notion est très liée au mode de fonctionnement et à la culture managériale ; au-delà des processus de validation, elle me semble importante dans un monde qui change.
Avez-vous un exemple démontrant l’atout des softskills dans le recrutement ?
Dès 2009 nous avons lancé un programme et modèle de leadership. L’idée était d’aider les 18 000 managers à devenir des leaders. Ce premier modèle, dénommé CODE, puis CODES, incluait les ingrédients clés suivants :
C – Creates a meaningful future : la capacité à créer un futur ambitieux
O – Opens connections inside and outside : la capacité à créer des connexions dans et hors l’entreprise avec, par exemple, la culture du feedback.
D- Drives for substainable results : l’importance d’avoir des résultats durables au sein de l’organisation.
E – Empowers oneself and diverse teams : développer les connaissances des collaborateurs au sein de l’équipe.
S- pour Self-aware: mieux se comprendre, comprendre ses émotions et ses talents.
Au-delà des programmes de formation pour développer chacune et chacun comme « CODES leader », ce modèle a été introduit dans le recrutement, en complément des compétences techniques et fonctionnelles.
Comment réussissiez-vous chez Danone à être si innovant ?
C’est plus une question de mindset que de budget. En 2009, quand nous avons décidé de monter un modèle de leadership pour former tous les managers c’était un pari – pari d’ailleurs cohérent avec le C de CODE, représentant la croyance de l’entreprise, la capacité à se projeter et à viser haut ; tout comme le fait d’être agile sur lequel insistait beaucoup notamment Franck Riboud : être agile pour prendre des chemins distinctifs, stratégiquement hors du commun, et demandant moins de ressources que des voies « mainstream » choisies par les concurrents.
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